par Michel BUR, membre de l’Institut, professeur émérite à l’université de Nancy II

article " CHAMPAGNE ", in Dictionnaire du Moyen Age - PUF 2002


   Le nom de Campanius est utilisé depuis le VIème siècle pour désigner la plaine crayeuse située entre l'Aisne et la Forêt d'Othe. Reims, Châlons et Troyes en sont les principales cités, partagées à l'époque mérovingienne entre l'Austrasie et la Burgondie. De la fin du VIème siècle au milieu du VIIIème, une formation politique, le Ducatus Campaniae, aux limites variables, couvre un territoire beaucoup plus grand que la Champagne géographique. Sous Charlemagne, Wulfaire, archevêque de Reims, est missus super totam Campaniam, mais sa circonscription ne s'étend pas au sud de la Marne.

   Au Xème siècle, des membres de la famille de Vermandois, en particulier Herbert II (†943) tentent de réunir entre leurs mains le plus de comtés possibles, y ajoutant de nombreux biens d'églises (spécialement rémois) et des fiscs royaux (Ponthion). Ils se rendent maîtres de l'évêché de Troyes. Leurs successeurs, les comtes de Blois, descendants de Liégeard, fille d'Herbert II, poursuivent cette politique qui aboutit, en dehors de tout cadre préexistant, par un simple phénomène d'agglutination aussi original que tardif, à la formation d'une grande principauté sans nom s'étendant de la Touraine à la vallée de la Meuse, mais coupée en son milieu par le domaine royal dans la région de Sens et d'Orléans. C'est Eudes II qui, en héritant de son cousin le comte de Troyes et de Meaux, Etienne, réunit vers 1023 la presque totalité de ces territoires. Il doit cependant abandonner à l'archevêque tout pouvoir à Reims. Ses successeurs sont amenés à faire des concessions analogues ou moindres aux évêques de Châlons et de Meaux, si bien qu'au cours du XIème siècle, la principauté, agrandie par Thibaud Ier, fils d'Eudes II, du côté de la Bourgogne (Bar-sur-Aube, 1078), voit lui échapper définitivement Reims et Châlons qui deviennent les points d'appui des Capétiens dans la région.

   A la suite d'un partage entre les fils de Thibaud Ier, le cadet, Hugues, qui reçoit Troyes, Bar-sur-Aube, Vitry, Epernay, s'intitule pour la première fois comes Campaniae, titre qui disparaît quand, devenu templier, il laisse ses biens à son neveu, le comte de Blois Thibaud II. Avec celui-ci se clôt l'histoire de la principauté. A sa mort en 1052, son fils Henri le Libéral sépare les possessions ligériennes du bloc champenois qu'il se réserve avec le titre de Comte de Troyes, laissant à ses frères et vassaux le patrimoine ancestral blésois, totalement enclavé dans les domaines capétien et plantagenêt et devenu politiquement et économiquement secondaire.

   Fief dominant, le comté de Troyes comprend alors 26 châtellenies-prévôtés tenues du roi (Meaux, Provins, Sézanne, Château-Thierry), du duc de Bourgogne (Troyes, Saint-Florentin), de l'archevêque de Reims (Châtillon, Fîmes, Epernay, Vertus, Vitry), de l'archevêque de Sens (Bray, Montereau), de l'évêque de Langres (Bar-sur-Aube, La Ferté), de l'évêque de Châlons, de l'abbé de Saint-Denis... Henri dispose de plus de deux mille vassaux, dont il accroît encore le nombre en médiatisant à son profit, sous la seigneurie de son frère l'archevêque de Reims Guillaume, les petits comtés de Braine, Roucy, Rethel, Château-Porcien, faisant ainsi une percée en Champagne septentrionale où il n'avait guère de biens fonciers. Sa cour, animée par sa femme Marie, fille de Louis VII et d'Aliénor d'Aquitaine, constitue un milieu favorable à l'épanouissement des valeurs courtoises qu'illustre leur petit-fils , le comte-roi Thibaud IV le Chansonnier.

   Thibaud IV est le premier à porter le titre de comes Campaniae Briaeque palatinus. Le qualificatif de palatin, anciennement utilisé, renvoie à la fonction de comte du palais remplie par un fils d'Herbert II à la cour des derniers Carolingiens. La Brie, géographiquement distincte de la Champagne crayeuse, regroupe toutes les possessions tenues du roi. Avec ce titre, le prince et sa terre trouvent enfin un nom, même si l'extension du comté vers l'Est, aux dépens de l'évêque de Langres, fait entrer dans le domaine Bar-sur-Seine, Nogent et Montigny. Sous le règne de Thibaud IV s'effectue un début d'unification avec la large diffusion du denier provinois, l'amorce d'une coutume de Champagne, l'apparition des Grands Jours de Troyes, juridiction d'appel pour les tribunaux des bailliages progressivement fixés à Meaux, Troyes, Vitry et Chaumont. En 1234, Thibaud IV devient roi de Navarre. Sa petite fille, Jeanne, épouse en 1284 Philippe le Bel, qui s'empresse de mener une politique d'expansion sur la frontière mosane. Le comté de Champagne et de Brie est incorporé au domaine royal en 1361.

   Le XIIIème siècle voit l'apogée des foires internationales, où s'échange le drap fabriqué dans le nord du royaume contre les produits du bassin méditerranéen. Nées dans la seconde moitié du XIème siècle le long d'une route passant par Bar-sur-Aube, Troyes, Provins et Lagny, ces foires bénéficient de la protection de Thibaud II, qui assure la paix du marché et, par son "conduit", la sécurité des marchands dans et hors de sa principauté. Vers 1190, il existe un cycle de six grandes foires, placées sous la juridiction de gardes qui disposent de tout un personnel de notaires et de sergents à cheval et à pied. Le commerce de l'argent devient prépondérant vers le milieu du XIIIème siècle. Le déclin de toutes les activités se produit entre 1320 et 1350.

   Reims et Châlons, qui atteignent alors les 15 000 âmes, développent leur industrie textile. Elles appartiennent toutes deux à la Hanse des 17 villes commerçant aux foires de Champagne. Sous le gouvernement de leur évêque, pair de France et bientôt duc et comte, elles se parent de monuments gothiques. La cathédrale de Reims offre depuis 1027 un cadre prestigieux aux sacres royaux. Au XIVème siècle, la région, traversée par les chevauchées anglaises, est ravagée par les bandes des Armagnacs et des Bourguignons. Le traité livrant la France au roi d'Angleterre est signé à Troyes en 1420. Jeanne d'Arc, conduisant le Dauphin à Reims, reconquiert les principales villes en 1429. Peu à peu, les coutumes se précisent dans les limites des quatre bailliages et des deux évêchés royaux. En 1542, la création de la généralité de Châlons entraîne le démembrement de l'ancien comté avec le rattachement de la Brie à la généralité de Paris. Seul le grand commandement militaire, esquissé dès 1417, conserve approximativement jusqu'à la Révolution, la configuration de l'ancienne principauté des Thibaudiens.